Inclusion

La ville intelligente existe pour tout le monde. Les municipalités qui se dotent d’outils et de solutions pour devenir intelligentes peuvent choisir de se concentrer sur des projets d’envergure (p. ex. routes et autoroute) ou sur l’autonomisation de ceux de leurs résidants qui disposent déjà d’outils technologiques (p. ex. téléphones intelligents ou ordinateurs personnels). Par contre, cette approche est problématique puisqu’elle ignore les gens qui pourraient être incapables de profiter de ces services améliorés : ce n’est pas tout le monde qui conduit une voiture ou qui possède un téléphone intelligent. Par ailleurs, les technologies intelligentes présument souvent que tous les utilisateurs possèdent les mêmes aptitudes, ce que nous savons ne pas être le cas : les personnes handicapées sont marginalisées sur plusieurs plans et ont besoin de services adaptés pour pouvoir participer à la prise des décisions visant la communauté.

Nous devrions donc toujours nous assurer que chaque proposition ou initiative municipale intelligente ne laisse personne pour compte. Une municipalité devant offrir ses services à chacune des personnes qui y habitent, il en découle qu’une ville intelligente doit profiter à tous ses habitants. « Profiter à tous » ne signifie pas mettre tout le monde dans le même panier. En effet, il arrivera parfois que certains groupes aient besoin d’outils ou d’investissements supplémentaires pour assurer leur participation équitable. Il n’est donc pas ici seulement question de n’oublier personne. Il faut également que la ville intelligente vise l’inclusivité en respectant des principes permettant de déterminer si une technologie ou une initiative donnée reproduit ou renforce une inégalité donnée, ou si elle crée une nouvelle inégalité affectant d’autres groupes.

Il existe heureusement plusieurs solutions ou technologies qu’une ville intelligente peut employer pour assurer l’accessibilité et l’inclusivité. En voici quelques-unes :

  • Accès sans fil gratuit à Internet. Il est inutile qu’une municipalité songe à recourir à des technologies intelligentes pour desservir ses résidants handicapés si ces derniers n’ont pas accès à Internet. L’installation de routeurs sans fil dans des endroits publics auxquels ont accès les personnes handicapées aidera ces dernières à profiter de ces technologies.

    • Cartes électroniques d’accessibilité. Les résidants peuvent alimenter des cartes de la municipalité indiquant le niveau d’accessibilité de certains secteurs, permettant ainsi à tous de savoir si un endroit donné est équipé d’une rampe d’accès ou de portes à ouverture automatique ou s’il offre du texte en braille.

  • Prestation téléphonique de services. Les résidants peuvent appeler un numéro municipal pour obtenir de l’information sur les services de transport, pour réserver un accès à des activités publiques ou pour être tenus au courant de toute modification aux politiques d’accessibilité de la municipalité.

  • Applications de service à la clientèle. Le recours à des applications combinant divers services professionnels pluridisciplinaires (juridiques, médicaux, sociaux) peut éliminer la marginalisation que vivent sur plusieurs plans les personnes handicapées en leur évitant d’avoir à obtenir chaque service individuellement. Une telle application peut cibler la préoccupation ponctuelle de la personne et la rediriger vers la bonne catégorie de professionnel. Ces applications seraient également utiles à l’ensemble des résidants de la municipalité puisque tous pourraient y avoir accès.

Biais algorithmique

Qu’est-ce qu’un algorithme? L’intelligence artificielle est de plus en plus souvent intégrée aux outils de gouvernance et aux services des municipalités. Les outils d’intelligence artificielle utilisent des algorithmes – des processus et des techniques de calcul – pour réaliser des tâches nécessitant de l’intelligence, comme la reconnaissance des formes, la vision par ordinateur et le traitement du langage. Il existe une multitude de tels outils, mais ils se divisent généralement en deux catégories : les systèmes à base de connaissances et les systèmes d’apprentissage automatique. Les systèmes à base de connaissances déduisent le comportement d’après des règles établies – le moteur d’inférence –, et des faits définis – la base de connaissances. Il s’agit souvent de « systèmes experts », soit des outils conçus pour reproduire la prise de décision d’un expert humain. Parmi les exemples les plus courants, notons les systèmes de traduction vocale, les systèmes de diagnostic et les logiciels de débogage de code. Les systèmes d’apprentissage automatique, quant à eux, améliorent continuellement la prise de décision grâce à l’analyse de statistiques fournies par un mécanisme de rétroaction. Ces systèmes établissent un modèle mathématique d’après un échantillon de données, appelé « données d’apprentissage », pour faire des prédictions ou prendre des décisions qui ne sont pas expressément prévues par leur programmation. Les décisions prises par ces systèmes sont fondamentalement complexes et conditionnelles, et ne sont pas transparentes. Par conséquent, il se peut que les concepteurs ne puissent expliquer ces décisions par « ingénierie inverse ». Parmi les systèmes d’apprentissage automatique les plus communs, on note la vision par ordinateur, les véhicules autonomes et les systèmes de reconnaissance faciale. Les techniques d’apprentissage automatique peuvent être intégrées aux systèmes à base de connaissances. Par exemple, un mécanisme de rétroaction peut améliorer le moteur d’inférence et enrichir la base de connaissances.

Biais algorithmique Les systèmes à base de connaissances et les systèmes d’apprentissage automatique se fondent sur des données. Ils peuvent donc facilement perpétuer les biais qui y sont présents. Et la supposée objectivité de l’algorithme masque ces biais. Or, tout système conçu par l’humain reflétera ses choix, ses idées, ses préjugés et ses failles. Nous devons donc reconnaître que les systèmes d’intelligence artificielle ne sont pas neutres et que, dans les cas les plus extrêmes, ils peuvent générer des résultats qui sont involontairement, voire intentionnellement, biaisés, discriminatoires ou contraires aux droits de la personne. Heureusement, ces problèmes potentiels inhérents aux systèmes d’intelligence artificielle sont connus. Par exemple, la Déclaration de Toronto de 2018, qui vise à protéger le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans les systèmes reposant sur l’apprentissage automatique, exhorte les gouvernements à élaborer des mécanismes de recours efficaces pour les personnes défavorisées par ces systèmes.

Prévenir le biais algorithmique Les municipalités qui envisagent de se doter de systèmes d’intelligence artificielle doivent comprendre que leurs résultats peuvent être biaisés ou discriminatoires. Certaines mesures peuvent toutefois prévenir ces problèmes potentiels.

  • Évaluation de l’incidence algorithmique. En 2019, le gouvernement canadien a adopté la Directive sur la prise de décision automatisée. Celle-ci oblige les décideurs à réaliser une évaluation de l’incidence algorithmique pour repérer et corriger les biais potentiels des processus fondés sur l’intelligence artificielle élaborés pour la prise automatisée de décisions externes qui toucheront les clients. Le gouvernement a d’ailleurs publié une version bêta de l’évaluation de l’incidence algorithmique, qui peut être utile pour mener une telle initiative. Si l’évaluation proactive de l’incidence sur les droits de la personne est considérée comme une pratique exemplaire, il est également important de réaliser une analyse opérationnelle des résultats de l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle. Pour un système d’apprentissage automatique, une telle analyse est essentielle, puisqu’en raison de son fonctionnement en « boîte noire », il est souvent difficile d’expliquer sa prise de décision.

  • Recours à des vérificateurs fiables et indépendants. Les municipalités qui envisagent de recourir à des outils d’intelligence artificielle craignent peut-être de ne pas avoir les compétences nécessaires pour réaliser des évaluations de l’incidence. Elles peuvent alors confier à des vérificateurs indépendants qui connaissent bien les systèmes d’intelligence artificielle la vérification de l’évaluation proactive de l’incidence et de l’évaluation des résultats. Ces vérificateurs peuvent également servir d’intermédiaires fiables pour évaluer les systèmes d’intelligence artificielle, surtout ceux appartenant à un tiers dont l’algorithme est considéré comme un secret commercial.

  • Transparence. En rendant publiques les données d’apprentissage, voire la base de connaissances d’un système expert, on permet aux tiers de déceler les problèmes potentiels liés aux biais, à la discrimination ou à l’égalité. Les initiatives de transparence doivent être menées dans le respect du droit à la vie privée des personnes et des droits de propriété intellectuelle des tiers sur les données. Suivez les pratiques exemplaires en matière de protection de la vie privée, et prenez connaissance des enjeux de propriété intellectuelle.

La fracture numérique

Les municipalités qui envisagent d’adopter des solutions de ville intelligente doivent comprendre leur incidence sur la « fracture numérique » qui existe au Canada. Ce terme fait traditionnellement référence au fossé qui sépare les personnes qui ont accès à l’Internet à large bande de celles qui n’y ont pas accès. Mais avec le temps, il en est venu à désigner plus largement les inégalités d’accès aux technologies numériques et à leurs avantages. Ces inégalités touchent notamment la connexion à Internet, ainsi que l’accès aux services basés sur Internet, aux appareils et aux avantages des applications informatiques.

Les causes fondamentales de la fracture numérique sont complexes, et peuvent être attribuées à la disparité des revenus, aux inégalités sociales, ainsi qu’au manque de littératie numérique, voire de familiarité avec les technologies. L’emplacement géographique peut aussi y jouer un rôle, les régions urbaines et populeuses ayant un meilleur accès à Internet et aux services numériques que les régions rurales et éloignées.

Les applications de ville intelligente auront certainement une incidence sur la fracture numérique. La question de l’inclusion est présentée en détail ailleurs sur ce site Web.

*En quoi les municipalités peuvent-elles aggraver la fracture numérique?

Les solutions de ville intelligente peuvent aggraver les inégalités existantes au Canada, y compris celles découlant de la fracture numérique. Par exemple, les solutions axées sur les voitures profiteront généralement davantage aux conducteurs, soit aux personnes qui ont les moyens financiers de posséder et de conduire une voiture. Cela ne veut pas dire que les municipalités doivent écarter ces solutions. Elles doivent plutôt planifier la ville intelligente en cherchant à en faire profiter tous les citoyens. Ainsi, les solutions de planification de la circulation qui profitent aux conducteurs de voitures devraient s’inscrire dans un plan de transport plus vaste qui répond aux besoins de tous. En facilitant le transport en commun, le covoiturage et la planification du réseau cyclable, les applications de ville intelligente peuvent être avantageuses pour tous les citoyens, en dépit de la fracture numérique.

De la même manière, les plans de connexion à Internet visant à implanter la fibre optique dans une communauté ne profiteront qu’aux personnes qui peuvent se permettre cette connexion, à moins de mesures proactives visant à établir des bornes publiques d’accès. Le déploiement de la fibre optique est une bonne chose, encore plus si elle s’accompagne de mesures qui en feront rejaillir les avantages dans toute la communauté et qui résorberont, ou à tout le moins réduiront, la fracture numérique.

Les solutions de ville intelligente peuvent réduire la fracture numérique

Les solutions de ville intelligente peuvent également réduire la fracture numérique. L’inclusion est un enjeu fondamental dans toutes les communautés au Canada. En faisant preuve de transparence, ainsi qu’en consultant le public et en collaborant avec lui, les décideurs s’assureront que les services intelligents répondent aux besoins de tous les citoyens, en dépit de la fracture numérique.

L’accès à Internet est au cœur du problème de la fracture numérique : faute d’accès, les citoyens du mauvais côté du fossé ne peuvent pas profiter des services numériques. Ainsi, les solutions de ville intelligente qui améliorent l’accès à Internet des jeunes, des personnes vivant en zone rurale, des personnes à faible revenu et des sans-abri peuvent réduire la fracture numérique. Parmi ces solutions, notons les réseaux Wi-Fi municipaux et les programmes d’accès public, offerts par exemple à la bibliothèque municipale. D’autres approches prévoient des investissements dans l’infrastructure physique.

De manière plus générale, les municipalités peuvent s’assurer que leurs services de ville intelligente sont accessibles de part et d’autre de la fracture numérique. Grâce à des initiatives de littératie numérique par exemple, elles outilleront leurs citoyens. Ce type d’initiatives, qui caractérisent le mouvement des « communautés intelligentes », visent à créer le « citoyen intelligent ». Les municipalités pourraient également planifier la ville intelligente en tenant expressément compte de la réalité des populations rurales et à faible revenu; elles veilleront non seulement à leur donner accès aux services, mais aussi à cerner leurs besoins particuliers et à y répondre.

Enfin, les municipalités doivent réfléchir aux mesures qui feront profiter tous les citoyens, malgré la fracture numérique, des initiatives de ville intelligente. Elles peuvent par exemple investir dans la structure interne des activités municipales : tout le monde profitera des gains d’efficacité qui en découleront.

Ressources (bibliographie annotée)

Guides et trousses

G3ict, “Smart Cities for All Toolkit”.

  • Une trousse d’outils à l’intention des fonctionnaires, des responsables et de toute autre personne impliquée dans la conception de villes intelligentes donnant aux résidants handicapés ou âgés accès à de l’information et à des technologies de l’information (p. ex. une liste d’étapes à suivre dans l’élaboration d’une politique d’achat public de technologies).

Citizen Lab, The guide to inclusion in e-democracy

Treasury Board Secretariat, Directive on Automated Decision Making

Government of Canada, Algorithmic Impact Assessment

Autres ressources

Deloitte, “Inclusive smart cities: Delivering digital solutions for all”

  • Offre un cadre de travail prônant le respect prioritaire de l’inclusivité à chaque étape d’une initiative de ville intelligente, ainsi que des exemples d’approches retenues par certaines villes en faveur de l’inclusivité.

OpenNorth, “Open Smart Cities Guide”.

  • Ce guide définit ce qu’est une ville intelligente ouverte et traite de son développement dans une optique centrée sur la communauté, fournissant divers exemples.

Frontiers, “The Concept of Sustainability in Smart City Definitions”.

  • Cet essai se penche sur les diverses définitions d’une ville intelligente qui ont cours et postule que, même si ces dernières sont surtout axées sur la durabilité, les initiatives actuelles privilégient l’aspect technologique de la ville intelligente plutôt que ses considérations sociales.

Aimi Hamraie, “A Smart City Is an Accessible City”, The Atlantic (November 6, 2018).

  • Un survol des cartes électroniques d’accessibilité et des technologies afférentes qui tentent d’assurer l’inclusivité aux personnes handicapées, donnant des exemples et indiquant les problèmes possibles.

Global Commission on Internet Governance, “One Internet”.

  • Une étude détaillée sur la façon d’assurer qu’Internet demeure ouvert et accessible à tous, traitant aussi de la fracture numérique entre les personnes ayant accès à ce réseau et celles qui ne l’ont pas.NPR, Automating Inequality, (2018) - Un entretien avec Virginia Eubanks, l’auteure de Automating Inequality qui met en lumière l’utilisation inefficace des systèmes automatisés dans les services publics.

NPR, Automating Inequality, (2018)

  • Un entretien avec Virginia Eubanks, l’auteure de Automating Inequality qui met en lumière l’utilisation inefficace des systèmes automatisés dans les services publics.

Cititzenlab, What’s the difference between diversity, equity, and inclusion? (2021)

  • Une explication des différences entre les concepts de la diversité, l’équité et l’inclusion.

Ressources - Biais algorithmique

George Sciadas, « La fracture numérique au Canada », Statistique Canada (2016).

Allison Bramwell, Ken Coates et Neil Bradford, « Expanding digital opportunity in Canada? »

Nicole Goodman et Zac Spicer, « Winning the smart cities challenge with equity, inclusion »

Ressources - La fracture numérique

OCDE, « Bridging the Digital Divide »

Open Media, « 11 things Canada should do now to close the Digital Divide for good », (2020) Public Interest Advocacy Centre, « #WCRD2017: Building an Affordable Digital World For Everyone », (2017)

« The Digital Divide, ICT, and Broadband Internet », Internet World Stats Université Stanford, « The Digital Divide »

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